mn (XVIII)

Le rêve est palpable. Aucune illusion possible. La larme qui s’écoule lentement, le long des ridules de mon visage, explose sur le dos de ma main. Je ne sais pas où je suis. Je ne réagis pas. Mes yeux sont-ils ouverts? Je ne distingue rien. M’interdire de bouger. Aucun mouvement. Rester là, posé entre les deux mondes. S’y asseoir. Étendre ses bras, déployer une main de chaque côté. Osciller doucement sur le fil, préserver le flou, partout à la fois. Les pensées rêvées ne sont ni plus réelles ni plus irréelles que les pensées éveillées. Elles se rejoignent si je les laisse déferler. Identiques. La même consistance vaporeuse. Un seul et unique monde, aux reliefs différents. Rien de plus. Un même esprit dans un seul espace. Son coeur bat, son souffle se stabilise, son âme s’apaise. Je suis là, présent à moi-même, inconscient de  ma conscience du moment. Quel est l’univers que je traverse? Celui dans lequel je me meus? Depuis combien de temps suis-je perché entre les deux mondes? Peu importe. Pour combien de temps encore? Cela n’a probablement aucune importance. Rien ne peut changer le cours des événements qui se suppléent, se mêlent et s’entrechoquent. Je ne peux qu’imaginer ma position dans cette trajectoire infinie. D’autres larmes s’échappent et s’arrêtent à la commissure de mes lèvres. Elles sont encore chaudes. Comme un chien lapant la main de son maître, je les conduis jusqu’à mes lèvres pour en goûter le sel. Mon coeur transpire, il se fatigue. Je laisse faire. Aucun effort pour mettre fin à cet épanchement. Cela n’a aucune importance. Cela ne me dérange pas, ni ne m’étonne. Ni plaisir, ni honte. Je ne peux me cacher de moi. D’où surgissent-elles? Leur goût m’amène à penser que cela fait bien longtemps qu’elles sommeillent en moi. Il y a sans doute un moment où le corps ne peut plus les contenir sous peine de se mettre en danger. Éviter la noyade. Un ultime sursaut. Je ne sais pas. Je n’y suis pour rien finalement. Je préfère le laisser faire seul. Je n’y suis pas totalement indifférent, seulement  un peu dubitatif. Mon intelligence ne me permet pas de donner des explications. Je constate, puis j’attends. Je ne sais pas non plus pourquoi parfois je souris, sans le vouloir ni le demander. Ce n’est pas très désagréable non plus. Pas plus désagréable que de pleurer. Plus de larmes, le coeur sec, je distingue à présent les contours de des objets qui m’entourent. Je suis là, bien là. Tout est là. Et je n’y comprends toujours rien. La radio bourdonne toujours. L’horloge me fixe de son aiguille menaçante. L’air pèse sur mes épaules. Je parviens à me lever. J’ai mal à la tête.   La douleur est très vive et se propage par à coups violents. Mes jambes me portent instinctivement devant l’évier de la cuisine. Je me soutiens, les bras tendus, les mains posées sur le rebord de l’évier. Ma tête est lourde et penche inexorablement vers le fond de la cuve. Le robinet goutte encore. Chaque goutte qui tombe semble exploser contre la paroi de mon crâne. Je me souviens très bien. Je sais ce que je dois faire. Un café, de l’air frais, de l’eau fraîche sur les tempes et le front.  Ensuite, m’allonger. Fumer. Ne plus penser. Dormir. Je ne mange plus depuis si longtemps. Je n’ai pas faim. Seulement me reposer. Ce voyage est dur. Je suis exténué.

à suivre… mn (XIX)

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4 réflexions au sujet de « mn (XVIII) »

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  3. allerarome

    « Osciller doucement sur le fil,  » Les larmes des funambules les empêchent de tomber et bouleversent ceux qui les regardent traverser le monde .

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